DE NOTRE SERVITUDE INVOLONTAIRE
Lettre à mes camarades de gauche.
Alain ACCARDO
INTRO : « Ma lettre n’a pas pour objet de recenser une fois de plus les griefs que nous nourrissons à l’égard du système capitaliste… » « la question que je veux aborder, c’est justement celle de savoir pourquoi le combat que nous menons contre ce système n’est pas toujours à la hauteur de notre indignation »« la raison tient au fait que ce combat ne s’attaque pas aux racines du mal, faute de comprendre leur nature réelle »
UN CONCEPT TRONQUE : SYSTEME CAPITALISTE
Habituellement le « système capitaliste » est un « concept objectiviste et économiste : structures économiques de production, accumulation, répartition indépendantes des agents auxquelles elles imposent , de l’extérieur, leurs règles de fonctionnement et leur logique de domination. »
« Une telle définition est partielle et réductrice »
Elle conduit à l’action classique via les canaux : partis et syndicats.
INSUFFISANCE DU COMBAT TRADITIONNEL
Combat classique = Militantisme de partis ou syndicats, réunions, débats, tracts, collage, pétition, manifs, greve…
« la réduction économiste du système se double d’une réduction politiciste des combats »
Réduction entretenue par les médias, les sondages
Le combat politique nous masque la véritable nature du système qui ne consiste pas seulement en réalite economico-politique, objective , extérieure à nous même qui nous contraint du dehors, mais aussi une réalite intérieure qui opère du dedans »
« En vertu d’une conception de la lutte des classes qui a historiquement rempli une fonction mobilisatrice et permis de structurer un nouveau rapport de forces entre les détenteurs du capital et la masse des exploités, on s’est habitué à penser le combat anticapitaliste comme celui d’une armée de dépossédés montant à l’assaut d’une place forte économico-politique tenue par des possédants dont tout nous sépare. On imagine, non sans grande naïveté, que , des lors qu’on aura investi la citadelle, changé le drapeau sur le donjon et fait place nette des anciens seigneurs et de leur valetaille, la cause sera entendue, on en aura fini avec le système capitaliste. Rares sont ceux qui s’avisent que si on se borne à s’emparer des leviers du pouvoir économique et politique, le système aura tôt fait de se reconstituer à partir de sa dimension interne, subjective, c’est à dire de la force qu’il conserve dans les têtes et dans les cœurs qu’il a durablement façonnés. Quand le pouvoir change de mains il ne change pas nécessairement de logique. »
UNE VISION SOCIOLOGIQUEMENT FONDEE : LE SYSTEME CAPITALISTE ET SON « ESPRIT ».
La sociologie explique que la socialisation se traduit par la « structuration simultanée d’agents collectifs (groupes) et d’agents individuels (membres) ». Ainsi l’opposition individu/ groupe est non fondée.
Le social en dehors : institutions appareils techniques, codes etc et le social en dedans : dispositions personnelles, compétences tendances, …
Pour qu’un système social fonctionne il faut qu’il y ait « congruence », « isomorphisme », similitude entre dedans et dehors.
« Tel est le contenu sociologique minimum de la notion de social. »
Esprit du capitalisme : « adhésion subjective des individus qui engage, au delà des idées conscientes et sentiments explicites, les aspects les plus profonds et inconscients de la personnalité, façonnée par la socialisation DANS le système. »
Adhésion : « transformation d’une nécessité d’origine externe en disposition personnelle à agir spontanément dans une logique donnée. »
C’est ce que La Boetie appelle la servitude volontaire. Mais c’est inexact : plutôt une servitude involontaire.
Socio-analyse : analyse des entrées et sorties de la logique du système en nous.
« je considère que la critique du système capitaliste ne peut s’en tenir à la lutte contre les structures économiques et politiques mais doit mettre en même temps en cause la part que nous prenons personnellement, même et surtout si ce n’est pas intentionnel, à la bonne marche de l’ensemble. »
C’est une entreprise difficile car « elle ne peut que heurter la bonne conscience des opposants au système » alors que « le caractère partiel de la critique peut contribuer au fonctionnement du système. »
LA CRITIQUE COMME ADJUVANT DU SYSTEME
La critique sur l’aspect extérieur seul indique au système où il doit se renforcer.
IMPOSTURE SOCIAL DEMOCRATE
Service de déminage social du Capital.
CONNIVENCE
L’opposition dans le système (orchestrée par la social démocratie) s’appuie également sur la « tendance profonde de la classe moyenne , toutes catégories confondues, à ne pas « casser la baraque »
Connivence = complicité involontaire. Adhésions multiples et renouvelées au quotidien , l’ensemble correspondant au « style de vie ».
Exemple : les passionnés de musique qui échangent « gratuitement » des » tubes « via Napster sur Internet n’ont pas conscience de contribuer à la marchandisation de l’Art poursuivie par les Multinationales »
HEGEMONIE DU CAPITAL ECONOMIQUE
Système social = ensemble de champs
L’autonomie des champs dominés diminue avec la puissance du champs dominant.
la puissance du champs dominant : reconnaissance de la dépendance envers les propriétés du champs dominant (ici le capital)
Les champs ont des rapports de force qui résultent de la spéculation sur les besoins des autres champs.
La domination du champ Capital sur les autres implique un transfert de logique de fonctionnement , ici : la marchandisation dans les champs dominés.
PEDAGOGIE DU SYSTEME : PRODUCTION DE L’ILLUSION
« tout système soumet les populations qu’il gouverne à une socialisation adéquate, à la fois informelle et institutionnalisée : il s’agit de faire habiter le système par la population et la population par le système (domestication).
Exemple : individualisme compétiteur.
Toutes les pratiques sociales contiennent des effets pédagogiques implicites.
Trois dispositifs énormes de structuration de l’inconscient social : Ecole / Media/ Représentation démocratique..
ECOLE
Légitimation des dominants : « élites », méritocratie, racisme de « l’intelligence
Reproduction / Sélection des dominants : filtre culturel / culture de classe
MEDIAS
Officines de propagande du néo-libéralisme
Mise en scène des politiciens
REPRESENTATION
Vedettariat, realpolitik
LE BESOIN D’ILLUSION DES CLASSES MOYENNES :
ECOLE : « Illusion de « L’ÉGALITÉ DES CHANCES »
MEDIAS : « Illusion du pluralisme et de la liberté d’expression »
REPRESENTATION : « Illusion que le véritable pouvoir est encore politique et démocratique »
« INCONSCIENT social des classes moyennes :
-besoin de distinction
-besoin de reconnaissance sociale
-horreur du commun
-culte du nouveau
-peur de l’anonymat dans la masse populaire
-fascination pour les pratiques ostentatoires et le « chic », le « classe »
-style de vie hédoniste
-psychologisation des problemes sociaux ( « besoin de communication, dialogue »)
-inclination irrépressible au consensus et au compromis
-indéfinition identitaire
-identité pour la représentation de soi même applaudie par les autres »
CHANGER LE MONDE ET SE CHANGER
Le combat au dedans n’a rien à voir avec une recherche spirituelle d’une source transcendante. Il s’agit d’élucider où est le système en nous.
UN MONDE DE MYSTIFICATEURS MYSTIFIES
« Le système ne peut fonctionner conformément à sa logique ( PROFIT) qu’à condition de faire illusion, càd de faire ce qu’il fait comme il le fait , en feignant de ne pas le faire ou de le faire autrement. »
L’illusion ne marche que parce qu’il y a une » structure d’accueil » au dedans de nous. « Qui consiste à obéir objectivement en se donnant subjectivement des raisons socialement honorables de le faire ou de ne pas s’en apercevoir sans qu’on puisse parler d’hypocrisie pour autant »
POUR UN NOUVEL ART DE VIVRE
« Ce qu’il faut se résoudre à remettre en cause, et c’est la pire difficulté dans la lutte anticapitaliste, c’est l’art de vivre qu’il a rendu possible et désirable aux yeux du plus grand nombre. »
« pour nos classes moyennes, l’art de vivre pourrait se caractériser comme l’art de faire de sa vie une véritable œuvre d’art ». Les critères esthétiques étant devenus prépondérants sur les critères éthiques .
« le système capitaliste, parce qu’il est une structure d’accumulation insatiable de profit, a besoin sur le marché d’individus réduits à leur fonction consumériste »
« parce qu’il est une structure de domination, il a besoin de compétiteurs, d’appétit de pouvoir, même masqués par le « dialogue », » l’écoute » et la « communication »
La lutte sur le front intérieur doit donc passer par une auto-réforme des mœurs
« il s’agit seulement d’approfondir lucidement l’analyse de ce qu’est le système capitaliste et de ses conditions historiques et sociales de fonctionnement et de choisir de le servir, sciemment, ou de le combattre , mais sérieusement, pas à demi, pas dans cette tiédeur toujours prête au compromis, pas avec cette propension complaisante à composer avec la réalité et à en euphémiser les aspérités »
« Comme la Mafia, …une des conditions principales de son efficacité c’est que son fonctionnement reste , sinon dans l’obscurité totale, du moins dans une pénombre propice à toutes les confusions ; il faut donc faire la clarté. »
« et cette renaissance commence forcément ici et maintenant , dans notre vie de tous les jours, avec les efforts que nous consentons pour remédier à notre assujettissemnt par le système et nous affranchir toujours davantage de la servitude ou il nous tient »
« il faut que nos aspirations spirituelles l’emportent sur nos intérêts matériels et mondains . Mais n’est-ce pas, chers ami (e)s et camarades de gauche, le fondement même de notre identité est le ciment de notre parenté ?»
Alain ACCARDODE NOTRE SERVITUDE INVOLONTAIRE
Lettre à mes camarades de gauche.
Collection contre-feux. Ed°s AGONEDEPOT LEGAL 2001, 94 PAGES
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