domingo, agosto 19, 2007

Ce que sera la responsabilité des intellectuels

Pierre Assouline

Faisons un rêve : les chercheurs en sciences humaines et les experts en sciences dites “dures” travailleraient la main dans la main, cette collaboration permettrait ainsi à l’intelligence collective (voir sa définition) d’accomplir enfin le grand bond que laisse espérer la construction technologique d’une nouvelle matrice culturelle et les intellectuels les y aideraient… Ce rêve, qui n’est pas un voeu pieux, est au centre d’un article très stimulant pour un esprit porté un tant soit peu sur le futur immédiat, intitulé “Nouvelle responsabilité des intellectuels” et publié dans Le Monde diplomatique (Août 2007). Il est signé de Pierre Lévy, directeur de la chaire de recherches en intelligence collective à l’université d’Ottawa et auteur il y a quelques années d’un ouvrage qui fit débat Cyberdémocratie.

Avant toutes choses, il prend soin de rappeler ce qu’il tient pour la fonction de l’intellectuel, spécialement dans la société de communication : c’est celui qui étudie les systèmes symboliques avec lesquels les hommes vivent à peu près harmonieusement et qui veille sans cesse à améliorer leur fonctionnement. Le moins qu’on puisse dire est que ce devoir, si il n’est pas nouveau, est rarement redimensionné en fonction de l’évolution des outils technologiques comme le fait Pierre Lévy. D’autant qu’il ne voit guère que trois lieux où se recrutent les intellectuels : chez les chercheurs en sciences sociales, chez ceux qui travaillent sur les sciences de l’information et chez les passeurs d’héritages culturels. Ceci posé, Pierre Lévy définit le défi qu’ils auront à affronter au début du XXIème siècle comme l’art et la manière d’exploiter l’intelligence collective. Quels sont les obstacles à ce travail en commun ? D’abord la diversité des langues et la variété des intruments de classement ; ensuite l’aspect encore primaire des moteurs de recherche, qui nous semblent bien performants alors qu’ils se contentent d’un algorithme permettant une reconnaissance visuelle d’une chaine de caractères (p.e.r.r.o.q.u.e.t. par exemple) et non de concepts (”inconscient” par exemple et non i.n.c.o.n.s.c.i.e.n.t.). Lévy est convaincu qu’à ce jour, l’algorithme ignore la complexité, lacune qui est sa grande limite, comme toute automatisation des opérations logiques.

L’intelligence collective en ligne fera un bond considérable pour le savoir, la connaissance, la pensée lorsqu’elle sera pleinement capable de travailler sur le sens et non plus seulement sur les signes. Il y a là une terra incognita dont la perspective donne le vertige mais dont on n’apercevra les contours que lorsque seront levées les barrières matérielles et sémantiques qui cloisonnent encore les chercheurs. “Les intellectuels du XXIème siècle sont donc confrontés au problème d’inventer, d’adapter et de perfectionner une nouvelle génération de systèmes symboliques qui soit au diapason de la puissance de traitement désormais disponible” écrit Pierre Lévy. Pour l’heure, les chercheurs des différents domaines étant à peine capables de se mettre d’accord sur la nature de leurs désaccords, leur regroupement dans une commune “noosphère” paraît relever de l’utopie. En attendant, déplore-t-il en conclusion, les connaissances des chercheurs en sciences humaines demeurent enfermées dans le cadre étroit de leur discipline. Elles ne sont pas partageables faute d’un outil commun permettant une plus large exploitation. Aux intellectuels incombe la responsabilité de forcer les barrières. On peut rêver, n’est-ce pas ainsi que l’humanité a toujours avancé ?

P.S. Le Monde diplomatique ne met pas en ligne en libre accès l’article en question mais uniquement le débat qu’il suscite avec d’autres articles sur les mutations dans la communication.

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