Pierre Assouline
Qu’on se le dise : il ne sera question que de Mexique cette semaine dans la France littéraire ! Au cas où vous l’ignorerez encore, il est l’invité d’honneur du Salon du livre qui ouvrira ses portes à Paris jeudi. Je m’y suis rendu il y a quelques semaines à la rencontre de ses écrivains. Vraiment pas déçu du voyage. Je vous ferai partager la richesse et la diversité de cette littérature tout au long de la semaine. Car il n’y a pas que Juan Rulfo, Octavio Paz et Carlos Fuentes ! En attendant cette fiesta dans laquelle résonnera souterrainement le discours historique du général de Gaulle qui donne le “la” de l’amitié franco-mexicaine depuis 1964, présentations.
Voici donc un pays qui, avec environ 100 millions d’habitants officiellement recensés, est le premier pays hispanophone du monde (1 locuteur sur 4 de cette langue est mexicain) tout en ayant proportionnellement le réseau de librairies le plus pauvre qui soit. Le tissu y est faible, les points de vente peu dispersés et le personnel rarement professionnel. A croire que ce pays compte davantage d’écrivains que de lecteurs. La Libreria Rosario Castellanos de Mexico City, si agréable, spacieuse et confortable, est l’arbre qui cache la forêt. D’autant qu’elle appartient au Fondo de cultura economica, c’est-à-dire à l’Etat. N’empêche : 25% des livres vendus au Mexique sont des ouvrages pirates, imprimés sans droits et vendus de même par des mafias. Une perte estimée à 1,25 million de pesos pour l’édition, soit 20% de son chiffre d’affaires. Les revues et suppléments littéraires des journaux ont disparu petit à petit ces huit dernières années. Ce qui eut pour effet d’accentuer la domination de la liste des meilleures ventes comme critère de qualité. Ne reste que Letras libres pour l’essentiel, mensuel politiquement situé plutôt à droite alors que la majorité des écrivains de ce pays est de gauche.
Nombre d’auteurs n’ont de cesse d’affirmer un esprit cosmopolite dans leurs œuvres et leurs déclarations, alors que la tradition nationaliste, qui a voulu construire l’identité mexicaine à travers sa littérature, irrigue secrètement nombre de leurs références. Ce qui n’empêche pas un Jorge Volpi de placer Thomas Mann au faîte de son panthéon personnel : « J’aurai tant voulu écrire le Docteur Faustus… » confie-t-il dans un soupir. Reste aux auteurs mexicains à se couler dans un univers latino-américain qui s’emploie désormais à faire la synthèse entre nationalisme, cosmopolitisme et réalisme magique. Le Diccionario critico de la literatura mexicana 1955-2005 est censé dresser l’inventaire des écrivains « mexicains » alors que s’y côtoient les colombiens Gabriel Garcia Marquez, Alvaro Mutis et Fernando Vallejo, le franco-allemand Max Aub, ou encore le chilien Roberto Bolano, considéré par beaucoup ici comme le plus important écrivain de langue espagnole. Il est vrai que le responsable de cette rafle, le caustique critique littéraire Christopher Dominguez Michael, en revendique le caractère « arbitraire et subjectif ». N’empêche : les Mexicains annexent sans complexe les écrivains venus d’ailleurs qui ont choisi leur pays pour y écrire, y vivre ou y mourir. Mais la France agit-elle autrement ?
Les écrivains natifs de Mexico city vouent une passion viscérale à leur ville ; et pourtant, nombre d’entre eux ne cessent de la quitter, pour y revenir ensuite. Le cas de Jorge Volpi (1968), rentré dans son pays après dix années passées un peu partout à l’étranger, et qui se prépare à… y retourner. « J’adore mon pays mais ma ville est épouvantable pour la vie quotidienne. Elle est centralisée à l’excès, pour la culture également, et faite pour les voitures. C’est une ville dure et dangereuse ». Il est vrai que cette mégapole de 22 millions d’habitants, cité à la couleur crépusculaire du tezontle dotée d’une vitalité inouïe, « un paradis infernal » selon Christopher Dominguez Michael, est l’une des rares dans le monde où l’on sent comme nulle part ailleurs la présence des morts et l’ombre de la mort qui rôde. Ce dont convient Fabrizio Mejia Madrid (1968), auteur du Naufragé du Zocalo (Les Allusifs) : «En fait, nous nous sommes libérés tant du fardeau de la génération précédente que de l’obligation de faire parler les morts, c’est-à-dire de révéler l’âme mexicaine. Ma ville, je fais corps avec elle. En dehors d’elle, rien n’existe. » Et pour bien se faire comprendre, avisant soudainement la galerie de portraits de régents et de maires qui ont administré la capitale depuis un siècle, sagement alignée au mur de la salle de conférences où nous nous trouvons, ce lecteur passionné de Perec et d’Echenoz lâche : « Un ramassis de voleurs ! ».
Désormais débarrassée du poids de la critique littéraire puisqu’elle a été laminée (« Nous ne sommes plus que trois ou quatre dans tout le pays » estime Christopher Dominguez Michael), libérée de la « déontologie critique » qui en découlait comme le remarque Jorge Volpi, enfin émancipée de la triple et étouffante tutelle de Juan Rulfo (1917-1986), d’Octavio Paz (1914-1998) et de Carlos Fuentes (1928), qui ne sont plus tenus pour des rivaux auxquels se mesurer mais pour des classiques auxquels se référer, la jeune littérature mexicaine ne sait plus trop quoi faire de cette liberté toute neuve. Du moins c’est ce qu’elle reconnaît lorsqu’on lui pose la question. Mais dans les faits, elle prouve qu’elle sait quoi en faire en se débarrassant des genres littéraires. En outrepassant les frontières. En s’autorisant toutes les écritures transversales et les mélanges improbables. En ignorant ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. En allant voir ailleurs. Le fait est que, si l’écrivain mexicain n’a jamais été aussi libre, il ne s’est jamais senti aussi seul. Même s’il lui arrive de réfléchir dans une logique de groupe.
Mais « solitude » n’est-il pas le mot qui caractérise le mieux l’être mexicain, si l’on croit l’un de ses meilleurs experts, Philippe Ollé-Laprune ? A chacun sa réponse : « J’essaie d’être fidèle à mes obsessions » dit Volpi tout en admettant qu’il lit désormais davantage d’essais que de romans afin de mieux truffer ses romans d’idées. Juste pour ne pas se contenter de raconter des histoires. « Même le travail sur la langue doit être en prise avec les idées, non ? » Chacun des écrivains que j’ai rencontrés joue sa partition. Tous troublent avec élégance, style et apparat, mais sans violence estime Philippe Ollé-Laprune dans Mexique, les visiteurs du rêve (La Différence). Louons l’acuité du regard de Christopher Dominguez Michael qui voit dans l’imagination littéraire une forme de résistance à cette « démocratie barbare » qu’est le Mexique. Mais il n’en a pas moins la dent dure, le critique : « Avant, les intellectuels voulaient être révolutionnaires adoubés par le Che dans la jungle. Aujourd’hui, ils veulent être écrivains fêtés à Francfort ». Ou faire salon à Paris.
Qu’on se le dise : il ne sera question que de Mexique cette semaine dans la France littéraire ! Au cas où vous l’ignorerez encore, il est l’invité d’honneur du Salon du livre qui ouvrira ses portes à Paris jeudi. Je m’y suis rendu il y a quelques semaines à la rencontre de ses écrivains. Vraiment pas déçu du voyage. Je vous ferai partager la richesse et la diversité de cette littérature tout au long de la semaine. Car il n’y a pas que Juan Rulfo, Octavio Paz et Carlos Fuentes ! En attendant cette fiesta dans laquelle résonnera souterrainement le discours historique du général de Gaulle qui donne le “la” de l’amitié franco-mexicaine depuis 1964, présentations.
Voici donc un pays qui, avec environ 100 millions d’habitants officiellement recensés, est le premier pays hispanophone du monde (1 locuteur sur 4 de cette langue est mexicain) tout en ayant proportionnellement le réseau de librairies le plus pauvre qui soit. Le tissu y est faible, les points de vente peu dispersés et le personnel rarement professionnel. A croire que ce pays compte davantage d’écrivains que de lecteurs. La Libreria Rosario Castellanos de Mexico City, si agréable, spacieuse et confortable, est l’arbre qui cache la forêt. D’autant qu’elle appartient au Fondo de cultura economica, c’est-à-dire à l’Etat. N’empêche : 25% des livres vendus au Mexique sont des ouvrages pirates, imprimés sans droits et vendus de même par des mafias. Une perte estimée à 1,25 million de pesos pour l’édition, soit 20% de son chiffre d’affaires. Les revues et suppléments littéraires des journaux ont disparu petit à petit ces huit dernières années. Ce qui eut pour effet d’accentuer la domination de la liste des meilleures ventes comme critère de qualité. Ne reste que Letras libres pour l’essentiel, mensuel politiquement situé plutôt à droite alors que la majorité des écrivains de ce pays est de gauche.
Nombre d’auteurs n’ont de cesse d’affirmer un esprit cosmopolite dans leurs œuvres et leurs déclarations, alors que la tradition nationaliste, qui a voulu construire l’identité mexicaine à travers sa littérature, irrigue secrètement nombre de leurs références. Ce qui n’empêche pas un Jorge Volpi de placer Thomas Mann au faîte de son panthéon personnel : « J’aurai tant voulu écrire le Docteur Faustus… » confie-t-il dans un soupir. Reste aux auteurs mexicains à se couler dans un univers latino-américain qui s’emploie désormais à faire la synthèse entre nationalisme, cosmopolitisme et réalisme magique. Le Diccionario critico de la literatura mexicana 1955-2005 est censé dresser l’inventaire des écrivains « mexicains » alors que s’y côtoient les colombiens Gabriel Garcia Marquez, Alvaro Mutis et Fernando Vallejo, le franco-allemand Max Aub, ou encore le chilien Roberto Bolano, considéré par beaucoup ici comme le plus important écrivain de langue espagnole. Il est vrai que le responsable de cette rafle, le caustique critique littéraire Christopher Dominguez Michael, en revendique le caractère « arbitraire et subjectif ». N’empêche : les Mexicains annexent sans complexe les écrivains venus d’ailleurs qui ont choisi leur pays pour y écrire, y vivre ou y mourir. Mais la France agit-elle autrement ?
Les écrivains natifs de Mexico city vouent une passion viscérale à leur ville ; et pourtant, nombre d’entre eux ne cessent de la quitter, pour y revenir ensuite. Le cas de Jorge Volpi (1968), rentré dans son pays après dix années passées un peu partout à l’étranger, et qui se prépare à… y retourner. « J’adore mon pays mais ma ville est épouvantable pour la vie quotidienne. Elle est centralisée à l’excès, pour la culture également, et faite pour les voitures. C’est une ville dure et dangereuse ». Il est vrai que cette mégapole de 22 millions d’habitants, cité à la couleur crépusculaire du tezontle dotée d’une vitalité inouïe, « un paradis infernal » selon Christopher Dominguez Michael, est l’une des rares dans le monde où l’on sent comme nulle part ailleurs la présence des morts et l’ombre de la mort qui rôde. Ce dont convient Fabrizio Mejia Madrid (1968), auteur du Naufragé du Zocalo (Les Allusifs) : «En fait, nous nous sommes libérés tant du fardeau de la génération précédente que de l’obligation de faire parler les morts, c’est-à-dire de révéler l’âme mexicaine. Ma ville, je fais corps avec elle. En dehors d’elle, rien n’existe. » Et pour bien se faire comprendre, avisant soudainement la galerie de portraits de régents et de maires qui ont administré la capitale depuis un siècle, sagement alignée au mur de la salle de conférences où nous nous trouvons, ce lecteur passionné de Perec et d’Echenoz lâche : « Un ramassis de voleurs ! ».
Désormais débarrassée du poids de la critique littéraire puisqu’elle a été laminée (« Nous ne sommes plus que trois ou quatre dans tout le pays » estime Christopher Dominguez Michael), libérée de la « déontologie critique » qui en découlait comme le remarque Jorge Volpi, enfin émancipée de la triple et étouffante tutelle de Juan Rulfo (1917-1986), d’Octavio Paz (1914-1998) et de Carlos Fuentes (1928), qui ne sont plus tenus pour des rivaux auxquels se mesurer mais pour des classiques auxquels se référer, la jeune littérature mexicaine ne sait plus trop quoi faire de cette liberté toute neuve. Du moins c’est ce qu’elle reconnaît lorsqu’on lui pose la question. Mais dans les faits, elle prouve qu’elle sait quoi en faire en se débarrassant des genres littéraires. En outrepassant les frontières. En s’autorisant toutes les écritures transversales et les mélanges improbables. En ignorant ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. En allant voir ailleurs. Le fait est que, si l’écrivain mexicain n’a jamais été aussi libre, il ne s’est jamais senti aussi seul. Même s’il lui arrive de réfléchir dans une logique de groupe.
Mais « solitude » n’est-il pas le mot qui caractérise le mieux l’être mexicain, si l’on croit l’un de ses meilleurs experts, Philippe Ollé-Laprune ? A chacun sa réponse : « J’essaie d’être fidèle à mes obsessions » dit Volpi tout en admettant qu’il lit désormais davantage d’essais que de romans afin de mieux truffer ses romans d’idées. Juste pour ne pas se contenter de raconter des histoires. « Même le travail sur la langue doit être en prise avec les idées, non ? » Chacun des écrivains que j’ai rencontrés joue sa partition. Tous troublent avec élégance, style et apparat, mais sans violence estime Philippe Ollé-Laprune dans Mexique, les visiteurs du rêve (La Différence). Louons l’acuité du regard de Christopher Dominguez Michael qui voit dans l’imagination littéraire une forme de résistance à cette « démocratie barbare » qu’est le Mexique. Mais il n’en a pas moins la dent dure, le critique : « Avant, les intellectuels voulaient être révolutionnaires adoubés par le Che dans la jungle. Aujourd’hui, ils veulent être écrivains fêtés à Francfort ». Ou faire salon à Paris.
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