jueves, marzo 19, 2009

Révolutionnaire


(Paco Ignacio Taibo II en la mediathéque à Toulouse)


INTERVIEW DE PACO IGNACIO TAIBO II
Propos recueillis par Mikaël Demets pour Evene.fr

Le président de l'Association internationale du roman noir crée l'événement dans les librairies avec, une fois n'est pas coutume, un essai.

Une biographie de Pancho Villa qui résume à elle seule l'engagement et l'oeuvre intransigeante d'un auteur exalté.

Non content d'être considéré comme l'un des plus fameux auteurs de l'Amérique latine et d'avoir, entre autres, donné envie à Luis Sepulveda de s'essayer au roman noir, Paco Ignacio Taibo II s'attelle à l'exploration de l'histoire de son continent.

Après sa biographie d'Ernesto Guevara, il publie un monument de passion et de minutie. 'Pancho Villa, roman d'une vie' est un livre comme on en croise rarement : palpitant, cruel, pénétrant. Bref, humain. Taibo embarque son lecteur au coeur de la révolution mexicaine, revisite la légende noire de l'insaisissable Pancho Villa… et révolutionne du même coup l'approche froide et universitaire de l'Histoire.

Lire la critique de la biographie de Pancho Villa
http://www.evene.fr/livres/livre/paco-ignacio-taibo-ii-pancho-villa-39545.php

Comment est née cette envie de se pencher sur Pancho Villa ?

Sûrement constater à quel point sa vie était mal racontée ! Quand on décide de consacrer quatre ans de sa vie à un personnage, il faut en être vraiment amoureux.

Depuis longtemps, je garde des fragments, des anecdotes, des références, des livres, des articles, des doutes, des notes écrites à la main sur Villa.

Dans un classeur, j'ai ainsi du matériel sur une douzaine de personnages qui m'attirent profondément. En passant à l'écriture, je me suis rendu compte que Villa avait saisi l'essence de la révolution : le vent de la vengeance des déshérités et des indigents.

Quelles différences y a-t-il entre le Pancho Villa qui hante depuis longtemps vos romans et celui que vous étudiez dans cette biographie ?

La biographie est une tentative de raconter minutieusement la vie d'un personnage au-delà des mythes ; une tentative de se prévaloir des calomnies, des rumeurs et de laisser l'histoire se raconter.

J'y fais un effort constant pour empêcher l'interprétation et laisser entre les mains du lecteur intelligent les éléments qui lui permettent de décider des jugements politiques et moraux qu'il portera sur le personnage.

J'en ai assez de l'Histoire mise en scène, qui fait précéder la thèse à l'information.

Je cherche à écrire une oeuvre qui permette "démocratiquement" au lecteur de se faire son opinion. Alors que la fiction permet de rêver, d'inventer, la biographie repose sur la rigueur.

Pourtant, une fois achevée l'investigation minutieuse, se pose encore une question : comment en faire un récit.

Vous citez Patrick Rambaud qui note que "L'Histoire n'est pas une science exacte, elle divague, il faut la confier aux rêveurs, qui la reconstituent par instinct." L'écrivain est mieux placé que l'historien pour écrire l'Histoire ?

L'Histoire est trop importante, il faut la voler aux historiens traditionnels. Partant de l'hypothèse que le lecteur a le droit de ne pas être d'accord, je n'ai pas choisi entre les différentes versions, j'informe.

Le personnage de Villa est trop important pour le laisser aux historiens qui racontent très mal les histoires : il fallait y introduire l'art de la narration sans altérer l'essence de l'investigation.

Sans trahir les faits, le narrateur peut par exemple choisir la manière de présenter les personnages, moins comme une accumulation que comme une progression. Il peut décider des coupes, des retours dans le passé qui éclairent le présent. J'ai cherché à atteindre une vraie narration qui rende le livre accessible aux lecteurs tout en faisant preuve d'une grande rigueur dans l'investigation.

C'est aussi en réaction à la légende noire qui colle à la peau de Villa que vous avez écrit cette biographie ?


Bien sûr. Villa ne plaît pas à grand monde, il représente l'horreur, la brutalité, le désespoir. Etrangement, on l'associe beaucoup à l'alcool alors qu'il ne buvait pas.

C'était certes un homme qui devenait facilement violent, au caractère à fleur de peau, mais pas un sadique… J'ai également écrit en réaction à la gauche orthodoxe mexicaine qui n'a pas été capable de comprendre le personnage.

Villa est très difficile à cerner pour le marxisme orthodoxe de la gauche mexicaine des années 1940 et 1950.

Lire l'histoire d'un pays d'après des codes empruntés à l'extérieur revient à vouloir la faire entrer de force là où elle n'entre pas, or c'est ce qu'ils ont fait.

Il fallait inverser la situation : raconter l'histoire et seulement ensuite, tenter de l'interpréter.

C'est ce qui vous a incité à parler d'un Villa plutôt que d'un Zapata ?

Emiliano Zapata est beaucoup plus clair politiquement parlant, mais aussi beaucoup plus terne humainement.

Villa est beaucoup plus attirant : Villa c'est le folklore, la liesse, la fable, le mensonge. Zapata c'est la raideur, le repli sur soi : aux yeux d'un écrivain, il n'est pas attirant.

Après la publication de ma biographie de Guevara, j'ai reçu des dizaines d'offres d'éditeurs m'enjoignant à écrire telle ou telle biographie contre des grosses sommes d'argent. J'ai refusé, je tiens à choisir mes sujets.

Il ressort de la lecture de la biographie une impression d'acharnement de Villa, qui ne baisse jamais les bras alors que la victoire semble impossible. (1) Comment l'expliquez-vous ?

Comme quelques rares personnages en ce monde, Villa "est" la révolution. Et la révolution se justifie d'elle-même. Pour Pancho Villa, elle est la nécessité de changer radicalement un monde qu'il n'aime pas. Et il ne connaît qu'un moyen de le changer : les armes.

Villa fait très peu de politique dans sa vie, il s'occupe seulement d'économie quand il gère son hacienda de Canutillo : il y développe sa vision d'un monde agraire qui, dans son idéal, est très hiérarchisé, très militaire. Pour le reste, il prend les armes.

Finalement, l'histoire de Villa est celle d'une révolution populaire, ce qui est un cas presque unique dans l'Histoire.

Exactement : cette révolution est populaire jusque dans ses chefs. La chose qui me semble la plus parlante est la photo de l'entrée des généraux villistes dans Mexico en 1915.

Il n'y figure pas un seul intellectuel, pas un seul avocat, pas de journalistes ni d'étudiants. Il n'y a que des voleurs, des paysans, des mineurs, des photographes, des maîtres d'écoles de villages misérables ou des muletiers.

C'est une caractéristique très particulière de la révolution mexicaine : elle se construit sans intelligence extérieure. Elle est contemporaine à la révolution soviétique et à la révolution chinoise, pourtant il n'y a pas de parallèle possible.

Vous aviez déjà réalisé une biographie du Che Guevara. Quel point commun unit ces deux personnages ?

La révolution. Guevara appartient à la classe moyenne instruite des années 1950-60, Pancho Villa est un autodidacte de la classe paysanne presque analphabète : ils n'ont rien en commun. Guevara c'est le socialisme, Villa l'incarnation de la révolte paysanne.

Le seul pont que je vois entre les deux est Tony Guiteras qui est le sujet de ma troisième biographie. Villa, ce sont les années 1920, Guiteras les années 1930, le Che les années 1950-60. Guiteras est un personnage fascinant. Il n'est pas connu au Mexique.

D'ailleurs, quand j'ai présenté le projet à mon éditeur, il m'a dit : "Tony qui ? Pourquoi raconter la vie d'un inconnu après avoir écrit sur le Che et Villa ?" J'ai répondu : "Parce qu'il est le plus grand !" Guiteras est un révolutionnaire cubain né à Philadelphie, pour le reste, vous en saurez plus en temps voulu…

Qu'est-ce que Pancho Villa a encore à nous enseigner aujourd'hui ?

Pour le lecteur d'aujourd'hui - un siècle après -, je pense que Villa est le symbole de la révolution qui part d'en bas. Un désir de changer le monde, le refus du compromis. Il nous rappelle que lorsque le peuple est pris à la gorge, il finit par éclater.

De Guzman à Rulfo, jusqu'à Fuentes et Arriaga, la littérature mexicaine semble hantée par la révolution et la guerre civile. Comment l'expliquez-vous ?

Mais si on ne parle pas de ça, de quoi va-t-on parler ? De citoyens poussant des caddies au supermarché ? L'absence de mémoire historique des Européens, la nécessité qu'ils ont d'oublier leur passé est quelque chose de fascinant pour un Latino-Américain.

Lors de ma première visite à Paris, mon père et moi avons pleuré devant le mur des Communards au cimetière du Père Lachaise. Nous étions seuls, il n'y avait pas un seul Français ému à nos côtés.

Cette négligence de la continuité est une faiblesse et non une force. En Amérique latine, présent et passé ne sont pas des moments distincts mais des vies communes.

D'un côté, vous écrivez des romans noirs, de l'autre des essais et des biographies. Considérez-vous ces deux pans de votre écriture comme une même activité ?

Il y a plus de ponts qu'il n'y paraît. Le roman noir pousse très loin l'investigation de la réalité. En tant que romancier, j'ai appris beaucoup de choses qui m'ont été très utiles au moment d'aborder l'Histoire : la logique de l'enquête, l'éternelle question du pourquoi, l'habitude d'interroger les détails…

J'y vois comme une parenté étonnante entre deux voisins parfaitement distincts. Dans mes romans, c'est le détective qui mène l'enquête, dans mes essais, je suis le détective.

L'engagement politique sert aussi de pont entre toutes ces formes d'écriture ?

Les faits sont là, je ne peux pas fermer les yeux, je me dois de décrire ce que je vois. Mais il faut veiller à ce que la politique ne commande pas trop l'oeuvre pour permettre l'autonomie du produit littéraire. Si tu veux faire de la politique, sors dans la rue, écris pour un journal, rédige un pamphlet.

Quand tu écris un livre, tu dois prendre garde que la contamination ne soit pas excessive.

Après évidemment, je suis très actif politiquement, et je ne peux pas l'ignorer quand j'écris.


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